Le festival et les éditeurs
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Thème 2010: L'écrit en Danger / Ar skrid en arvar ?

Tem 2010 : an skrid en arvar

 

Le temps de la réflexion...

L’époque n’est-elle pas suffisamment anxiogène pour que le Festival du livre en Bretagne vienne en rajouter une couche en choisissant comme thème, cette année, de réfléchir au danger supposé qui pèserait sur l’écrit et donc sur le livre ? Que nos amis se rassurent, il n’y a là aucune envie de provoquer ni d’en rajouter. Juste une désagréable impression, une intuition, un sentiment diffus que les chiffres donnés par les différentes enquêtes ne parviennent guère à dissiper, pas plus en Bretagne que dans le reste de l’Hexagone.

Mais nous ne sommes pas les seuls à nous interroger. Dans une tribune intitulé, « La fin d’une époque », publiée le samedi 13 février 2010 par Ouest-France, Jean-Michel Djian, professeur associé à l’université de Paris VIII se pose lui aussi des questions.

 

Longtemps le livre fut le pilier de la « culture française », le socle de son système éducatif. C’est si vrai que, depuis la création de l’Académie française au XVIIe siècle jusqu’à l’ouverture de la Bibliothèque nationale de France à la fin du XXe, l’État et la collectivité publique ont toujours entretenu des rapports bienveillants, sinon protecteurs, à son endroit.

On l’a vu dans les années 1970 avec la création des bibliothèques publiques dans les départements, puis à l’occasion du « prix unique du livre » en 1981, quand il a fallu sauver les librairies contre la concurrence des grandes surfaces. Et puis advint internet. D’abord, ce fut la fascination devant cet accès « révolutionnaire » à la connaissance. Mais les écrivains, les enseignants et, plus généralement, tous celles et ceux qui vivent pour la littérature, la philosophie, les sciences ou la poésie se dirent qu’il était impensable d’imaginer que l’objet livre puisse disparaître. En tout cas, il resterait protégé par les pouvoirs publics.

Mais récemment, presque en catimini, un décret signé le 15 novembre 2009 par le ministre de la Culture rompt avec cette certitude : « La référence au directeur des médias et au directeur du livre est remplacée par la référence au directeur général des médias et des industries culturelles. » Le nouvel organigramme du ministère de la Culture, officialisé le 13 janvier dernier, le confirme : la direction du livre est supprimée. Tout un symbole.
« Se rendent-ils compte de ce qu’ils font ? » réagissait, dépité, l’écrivain François Bon.

Le dernier rapport sur les « pratiques culturelles des Français à l’ère numérique» a mis l’accent sur la montée en puissance spectaculaire de la « culture de l’écran ». En même temps, il constatait une forte « dégradation » de l’intérêt pour les livres et la lecture dans la population (53 % avouent désormais lire peu ou pas du tout de livres dans l’année !). Les enseignants s’en inquiètent, les libraires s’interrogent.

Plutôt que de tirer la sonnette d’alarme, le gouvernement en profite, au contraire, pour orienter radicalement sa politique culturelle autour de l’écran, c’est-à-dire de l’industrie des images et du son.

L’écrit est politiquement vaincu. C’est le sens du discours du président de la République qui, à l’occasion de ses voeux au « monde de la culture » à la Cité de la musique, déclarait que son objectif prioritaire est de « numériser notre patrimoine culturel ». Pourquoi pas ? Mais pour numériser, il faut d’abord écrire des oeuvres, leur donner une forme, une vie, pouvoir aussi les toucher, les voir, les sentir. Car l’écran n’est pas un livre. Et lire c’est autre chose. Alors, attention, danger !

 

Comment ne pas partager l’inquiétude de Jean-Michel Djian lorsque d’autres enquêtes sur le comportement des Français annoncent qu’ils passent quotidiennement près de trois heures et demie devant leur petit écran et que les jeunes, s’ils regardent moins la « TV de papa » se ruent sur les ordinateurs, mais pas forcément au détriment des programmes de télévision, qu’ils regardent sur le Net. Combien de temps reste-t-il alors pour la lecture ?

 

On peut se réjouir que la rentrée littéraire 2010 se traduise par une offre de plus de sept cents romans en France. Combien en Bretagne ? On peut se réjouir du dynamisme de l’édition en Bretagne comme en témoigne le festival du livre de Carhaix. On peut se réjouir qu’en Bretagne le taux de pénétration des quotidiens régionaux soit élevé... Néanmoins le monde du livre va changer, change, et il faudrait être prophète pour dire ce qu’il restera de la chaîne du livre, telle que nous la connaissons, dans quelques années. Même si aujourd’hui le support numérique représente moins de 1 % du chiffre d’affaires du livre. Yves Lainé, le président de l’Association des écrivains bretons, affirme : « Si la Bretagne peut aider l’écrit, il ne s’agit d’en développer l’inspiration, qui n’est pas en panne. Il faut surtout s’attaquer à la promotion et à la diffusion. Dans la période charnière où nous nous

trouvons, cela passe par des médias qui s’intéressent à notre culture, par des éditeurs qui aient le goût et le temps de s’intéresser aux auteurs, par des diffuseurs encadrés. Enfin, par une longueur d’avance en matière de techniques nouvelles. »

 

Et puis il y a cette inquiétante instantanéité, cette accélération du temps et de l’histoire, qui nous stresse, et modifie profondément les comportements. Sans doute faut-il aussi réfléchir à ces mots du philosophe nantais Paul Virilio : « À côté de l’écologie verte, c’est-à-dire la lutte contre la pollution de la nature, il faudra ainsi une écologie grise contre la pollution des distances et des délais, ce qui permettra de vivre raisonnablement, et pas dans l’affolement et le stress. » Et si le raisonnable justement c’était de pouvoir prendre le temps de lire ou de relire Guerre et Paix de Tolstoï, ou la collection complète de la revue littéraire Al Liamm ?

 

Place aux débats !


Sous la direction d’Olivier Donnat, département des études, ministère de la Culture, octobre 2009.

 

 

Texte « Ecrit et langues en danger » (Document pdf à télécharger)

 

Texte « Fragile édition de poésie » (Document pdf à télécharger)

 

Festival du livre en Bretagne - Ti ar Vro - BP 103 - 29833 Carhaix Cedex - festivaldulivre@gmail.com